Critique : "Espion(s)" de Nicolas Saada
Premier film de Nicolas Saada, ancien critique des Cahiers, et véritable coup de maître. Un film brillant, subtil, porté par deux acteurs au sommet de leur art.
ESPION(S) de Nicolas Saada
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n premier film est une œuvre toujours passionnante,
comprenant souvent des maladresses de première fois, mais permettant de se
rendre compte de la sensibilité d’un cinéaste. Par contre, rare sont les
premiers films maîtrisés d’un bout à l’autre, faisant preuve de la maturité du réalisateur.
Ces premières œuvres qui nous claque à la gueule et que l’on n’attendait pas,
nous faisant découvrir un grand artiste. Espion(s)
est de ceux-là. Mais, si ce premier film de Nicolas Saada fait preuve d’une
grande maturité et d’une grande maîtrise, c’est peut-être parce qu’il a attendu
de nombreuses années avant de réaliser ce premier long. La quinzaine d’années
qu’il a passé à la rédaction des Cahiers
du cinéma lui on permis de se forger un regard de cinéaste et d’étoffer le
cinéphile qu’il est. En s’attaquant au film de genre, le film d’espionnage, il
fait une véritable œuvre de cinéphile, où les références pointent (Hitchcock en
tête). Cependant, Saada ne cherche pas à copier ceux qu’ils considèrent comme
ses maîtres. Il s’en inspire pour pouvoir s’en détacher, et fait un film
incroyablement personnel, où sa sensibilité se fait ressentir tout au long de
la projection.
Vincent (Guillaume Canet), bagagiste à Roissy, s’emmerde royalement dans son travail. Pour passer le temps il s’amuse avec son collègue, Gérard, à voler dans les valises des voyageurs. Un beau jour, une valise diplomatique arrive sur le tapis. Son collègue y fouille et elle lui pète à la gueule. Il meurt. Vincent se retrouve interrogé par la DST, et mêlé contre son gré à une affaire qui le dépasse. On lui propose de passer l’éponge sur ses larcins s’il part à Londres pour se rapprocher des personnes mêlées à cette valise. Il doit notamment se rapprocher d’un homme d’affaires Anglais, en tentant de séduire son épouse française, Claire (Géraldine Pailhas). Les faux sentiments vont évidemment se transfomer...
Espion(s) passe alors d’un
plan géopolitique à un plan intime, et le film prend toute son ampleur. Car les
grandes scènes du film viennent de ces moments intimes entre Vincent et Claire,
l’intrigue géo politico-terroriste ne servant qu’à grossir le jeu de faux
sentiments auxquels ils se donnent. Faux sentiments qui deviennent vrais, et
vrais sentiments qui deviennent confus. La première grande scène entre Vincent
et Claire arrive autour d’un verre, après que celui-ci lui est offert une
peinture. La conversation ne comprend rien d’extraordinaire, mais ils se
mettent à parler de leur passé, et là… Le lien se fait, entre eux se passe
quelque chose. Ils sont tous les deux aussi perdus, aussi triste l’un que
l’autre. La scène parvient à créer une véritable sensualité, un romantisme
subtil et magnifique, sans cliché ni mièvrerie. Pour parvenir à cette subtilité
il faut un grand talent de metteur en scène. Saada sait diriger ses acteurs,
les filmer, en les éclairant et les cadrant magnifiquement, sans esbroufe et
avec délicatesse. Ces scènes deviennent alors bouleversantes. Peu de dialogues,
des regards, des gestes, et le film devient magistral.
Le film doit énormément à ses deux acteurs principaux - le reste du casting étant tout aussi remarquable. Guillaume Canet n’a jamais été meilleur. Une ambiguïté se dégage de lui, on ne sait trop s’il agit en fonction de ses propres sentiments, ou par rapport à ce que lui demande la DST et le Mi5. Il parvient à nous montrer en un regard, un geste, toute la tristesse de ce personnage, de cet homme abîmé et à la tendance autodestructrice. Face à Claire il nous montre toute la confusion du personnage, pris par un complot qui le dépasse et par des sentiments qui le dépasse également. Géraldine Pailhas joue avec grâce et à la fois fragilité et dureté ce personnage. Cette femme marquée par la mort de son ex-mari et la perte de la garde de ses deux enfants, et qui trouve du réconfort, une protection dans les bras de cet homme d’affaires Anglais, qu’elle respecte plus qu’elle ne l’aime. C’est en Vincent qu’elle trouve un être qui lui ressemble, lui est proche, et à la fois qui lui est lointain. Face à lui elle peut se mettre à nue. Elle le fait, intimement, physiquement, moralement. Le choc quand celui-ci lui annoncera qui il est véritablement et pourquoi il s’est approché d’elle la bouleverse, lui inflige une autre claque dans sa vie. Une scène bouleversante. Elle, encore nue dans les draps blancs, est là face à lui, fragile, sans armures. Lui, est déjà rhabillé, en noir, comme protégé, et marche dans la pièce, déjà culpabilisant. Il s’approche d’elle, s’assoit sur le lit, et elle comprend… « Ménage-moi, s’il te plaît. » lui dit-elle, avant qu’il n’ait commencé à parler. Mais le choc n’est pas celui qu’elle attendait. Celui-là est dévastateur. Elle se sent trahie, humiliée…Vincent ne sait plus où il est, qui il est. Il est perdu, et perdant.
Nicolas Saada arrive, en n’explicitant jamais trop ses personnages et leurs
sentiments, à nous faire ressentir toute la complexité de ces personnes, de ces
deux êtres perdus, qui se consument lentement dans un complot qui les dépasse,
amoureux et politique. Le film commençant et finissant sur deux hommes en feux,
impuissant face à des évènements qui les dépasse. Bouleversant et magnifique, le
premier film de Nicolas Saada frappe fort. Un grand film. -ASH-
Film français (1h39). Scénario et réalisation : Nicolas Saada. Avec : Guillaume Canet, Géraldine Pailhas, Stephen Rea, Archie Panjabi, Hippolyte Girardot & Alexander Siddig. Date de sortie : 28 Janvier 2009